Il est courant de déplorer la schizophrénie des sociétés occidentales en matière environnementale. Alors que nous souhaitons pour la plupart l’instauration de mesures permettant le respect des équilibres naturels, nous adoptons au quotidien des comportements totalement contraires à cet objectif. Le thème du développement durable a beau être au cœur de tous les discours, le marché des 4X4 (qui représentent aujourd’hui 5% du parc automobile français) est en plein essor depuis 2001. Nous souhaitons respecter l’environnement mais exigeons d’avoir « toujours plus et toujours moins cher ».
Ce double mouvement limiterait à la fois l’action publique et les initiatives des entreprises : nous réclamons des mesures environnementales mais nos comportements rendent difficile leur mise en œuvre.
Plus généralement, notre schizophrénie traduirait notre manque de conscience écologique : nous nous payons de mots lorsque nous appelons à lutter contre les problèmes environnementaux et montrons par notre action quotidienne que nous ne sommes pas prêts à faire les efforts rendus nécessaires par la préservation de l’environnement.
Mais doit-on vraiment désespérer de cette incohérence ? Ne peut-on pas tenter de l’expliquer autrement ? Et rend-t-elle vaine la perspective d’une politique environnementale ambitieuse ?
Si l’insuffisance de nos préoccupations environnementales peut en partie expliquer cette schizophrénie si souvent dénoncée, il semble que d’autres facteurs entrent en ligne de compte.
Nous sommes tout d’abord victimes d’un manque d’information.
En effet, au-delà de la très générale nécessité de respecter les équilibres naturels, l’information en matière d’environnement reste insuffisante et vague. En l’absence d’une vision claire des différents enjeux environnementaux et de l’impact écologique réel de nos comportements, l’impact de l’action individuelle paraît incertain et dérisoire. Les comportements écologiquement vertueux se trouvent réduits à un ensemble de gestes plus symboliques qu’efficaces.
On peut d’ailleurs regretter l’existence de tout un « imaginaire » environnemental qui ajoute à cette confusion : beaucoup de comportements nocifs pour l’environnement ne sont pas reconnus comme tels et vice-versa. Certains « amoureux de la nature » comptent parmi les plus grands pollueurs (ceux qui passent leur vie en avion par exemple) ! La vue d’un élevage bovin n’inspire pas la même répulsion que l’image de la cheminée d’une usine. Et pourtant, il est difficile de dire ce qui des deux contribue le plus à l’effet de serre. Et la consommation de produits bio importés de l’autre bout du monde à grand renfort d’avions cargo est-elle vraiment écologique ?
Le lien réel entre comportement (ou consommation) et impact écologique est la plupart du temps à la fois indirect et technique. L’adoption de comportement réellement n’en est que plus difficile. On peut toutefois se féliciter de la parution de guides comme le Petit Livre vert de la fondation Nicolas Hulot.
Ensuite, la relation entre économie et écologie (ou consommation/comportement et écologie) est systématiquement présentée de manière biaisée. Le bilan environnemental apparaît comme un « bonus » qu’il s’agirait d’ajouter au bilan économique. Il n’existe pas d’indicateur synthétique permettant d’évaluer ensemble ces deux domaines, qui sont pourtant les deux faces d’une même pièce. Plus précisément, on limite l’action environnementale à l’amélioration de l’efficacité énergétique (produire une unité de valeur avec moins de ressources) sans voir que l’impact écologique est toujours le produit commun d’une technologie et d’un niveau de production. Historiquement, les progrès en matière d’efficacité énergétique ont tous été compensés par une augmentation plus importante des volumes de production (surtout quand l’efficacité énergétique implique une économie financière) : c’est l’ « effet rebond ». Si l’on refuse de reconnaître qu’à moyen terme, c’est autant le niveau de production que les technologies utilisées qui sont responsables des dégâts environnementaux, l’écologie devient l’affaire de quelques scientifiques et autres ingénieurs censés mettre au point des technologies assez performantes pour rendre nos comportements quotidiens compatibles avec les exigences environnementales. C’est une vision répandue mais malheureusement erronée : il y a un choix à faire entre niveau de production (ou niveau de croissance/consommation) et environnement. Il y a aussi un lien entre niveau de consommation et pollution. De ce point de vue, des slogans comme le « Mieux consommer, c’est urgent ! » de Carrefour sont absolument scandaleux.
Mais il arrive aussi (souvent) que nous agissions tout en étant conscient de l’impact négatif de notre conduite. Nos comportements manifestent-ils alors notre désintérêt profond pour les questions écologiques ?
Il me semble tout d’abord que l’on ne peut pas réellement s’étonner de ce que le consommateur soit sensible aux sollicitations incessantes auxquelles le soumettent la publicité. Le libre arbitre a ses limites et il se pourrait que nos comportements ne soient qu’une réponse somme toute « logique » aux messages qui nous parviennent de tous bords et non la manifestation d’une incohérence dans notre façon de penser.
Ensuite, attendre du citoyen qu’il adopte un comportement écologiquement vertueux revient sûrement à surestimer son rôle dans l’évolution et la marche de la société.
Est-il courant de rapporter la moindre de nos actions à des enjeux de portée générale ? A tort ou à raison, la réponse me semble négative. Nos comportements ne sont pas le fruit de longues réflexions et ne reflètent pas forcément nos valeurs.
Au mieux, on prendra en compte l’impact écologique immédiat et visible de nos actions. Or ce dernier est par définition relativement faible. Nous ne nous sentons pas responsables des initiatives commerciales ou des décisions de production de telle ou telle entreprise. Nous sommes au cœur d’un système économique qui nous surplombe : il paraît difficile de ne pas y adhérer alors qu’il nous avantage en tant que consommateurs et que nous sommes impuissants au niveau individuel.
Enfin, il me semble que c’est en partie l’organisation de la société - que nous subissons et sur laquelle il nous est là encore difficile d’agir - qui nous conduit à adopter des comportements préjudiciables à l’environnement. Par exemple, l’exigence de rapidité, l’urbanisation supposant des transports rapides et bon marché, etc.
Dès lors, notre « schizophrénie » si souvent dénoncée constitue-t-elle un obstacle insurmontable à l’adoption de mesures fortes en faveur de l’environnement ?
Tout d’abord, il est possible de l’atténuer en s’attaquant aux facteurs qui la provoquent : manque d’information, manque d’explicitation des enjeux réels, organisation de la société, etc.
Mais surtout, il me semble que cette schizophrénie ne fait que refléter la dualité quasi-légitime du citoyen, partagé entre l’intérêt général et son intérêt particulier mal compris. Le fait que l’on n’agisse pas au quotidien ne veut pas dire que l’on ne soit pas prêt, dans le cadre d’une procédure démocratique, à faire primer l’environnement sur d’autres objectifs, économiques en particulier. Ceci suppose que l’engagement pour l’écologie soit concrétisé au niveau politique et qu’il débouche sur une régulation contraignante qui réoriente les intérêts des différents acteurs de la société, notamment par le système des prix. Bien entendu, ceci implique un débat de qualité et une information claire.
La schizophrénie n’est gênante qu’à partir du moment où l’on considère que c’est au niveau individuel que chacun est appelé à agir, en tant que « consom’acteur » par exemple. Si on ne peut contester l’opportunité des démarches volontaires, celles-ci sont à mon avis vouées à rester limitées, tant elles demeurent incertaines.
En outre, seule une évolution globale de l’organisation de la société est de nature à avoir un réel effet sur l’environnement. Cette évolution doit être orientée par l’Etat.
En s’attaquant au problème au niveau macro-économique, on limite les risques de contradictions entre les actions particulières et les impératifs écologiques : au sein d’une société organisée en fonction des impératifs environnementaux, les comportements s’adaptent presque naturellement.
Enfin, n’oublions pas la dimension symbolique des objets (grosse voiture) et comportements (renouvellement, gaspillage, course à la richesse) qui font aujourd’hui problème d’un point de vue environnemental. Il y a tout lieu de penser qu’au sein d’un monde écologiquement vertueux, leur dimension symbolique irait « naturellement » se fixer sur des objets compatibles avec la sauvegarde de l’environnement.
Voila un article fort intéressant pour inaugurer 2006.
Je suis complètement d’accord avec ces conclusions. Toutefois, je commence à penser que la société française n’a pas la possibilité d’agir sur la macroéconomie.
Par exemple, l'adoption d'une TVA écologique évoquée ici : http://www.demain-la-terre.net/Ils-ne-pourront-pas-dire-qu-ils-ne ne peut, en Europe, être décidé qu’à Bruxelles, et à l’unanimité !
Autre obstacle majeur, les lobbies économiques qui par un chantage à la délocalisation et au chômage pèsent de tous leur poids sur toute politique des prix.
Pour aller plus loin, il nous faut prôner une démocratie plus directe. En Suisse, des décisions écologiques et à première vue défavorables aux industriels ont été prises. Par exemple, le transit des camions est interdit (aller hop, sur le rail : http://www.demain-la-terre.net/Quelle-politique-pour-le-transport), les OGM ont été interdits pour 5 ans (http://www.demain-la-terre.net/+La-Suisse-repousse-les-OGM-pour-5+). Voila tout l’intérêt de la démocratie directe par référendum cher à Etienne Chouard (http://etienne.chouard.free.fr/Europe/). Alors les politiques sont obligé de réellement représenter leurs électeurs et non pas quelques personnalités influentes car capables de les financer.
Alors, nous les écologistes, alter, pro-européens, etc, je pense qu’on doit maintenant réclamer une VI ème République !
Bon toutes mes excuses pour toute l’autopromo que je viens de faire et bonne année à tous les freeman et à leurs lecteurs.
Rédigé par : onéma | 02 janvier 2006 à 22:23
On se demande même parfois si ces deux mouvements tire justement leur force, leur engouement et leur légitimité de leur opposition... Allons, allons, le monde n'est pas si manichéen que ça. ;)
Rédigé par : Samuel Degasne | 03 janvier 2006 à 10:05