Ce sujet a été évoqué à plusieurs reprises dans ce blog (et notamment les 9 et 29 septembre derniers, dans deux textes intitulés “Citoyen ou consommateur ?“ et “La logique cannibale du capitalisme“).
Dans un édito récemment donné à l’Express et trouvé ici, Jacques Attali revient sur ce sujet. Le texte est lumineux. Je le reproduis tel quel :
Le tiercé perdant
Consommateurs, épargnants, travailleurs seront tous victimes du désastre où courent les sociétés occidentales
Cette semaine, le débat au Parlement européen sur la directive Bolkestein renvoie à une évolution très dangereuse des sociétés occidentales, menacées de mort par leur propre insouciance. Les habitants d'un pays sont à la fois des citoyens, des travailleurs, des épargnants et des consommateurs. Aujourd'hui, les décisions des hommes politiques et des chefs d'entreprise privilégient les épargnants et les consommateurs au détriment des travailleurs. Et les citoyens, qui sont les trois à la fois, se retrouvent victimes de ce tiercé perdant: consommateurs, épargnants, travailleurs.
Les entreprises ont depuis longtemps choisi de tout faire pour fidéliser leurs clients et leurs actionnaires et non leurs employés. Pour réduire les prix de leurs produits, elles diminuent les salaires et les droits sociaux de leurs travailleurs, rognent les marges de leurs distributeurs et favorisent les technologies qui économisent du labeur.
Les partis politiques ont, eux aussi depuis longtemps, choisi de privilégier la stabilité des prix par rapport au plein-emploi parce que l'inflation favorise les plus jeunes, qui ne représentent qu'une minorité du corps électoral. Résultat: chômage, endettement, déficit extérieur et zapping politique.
Cette situation que semble imposer la concurrence mondiale tournera bientôt à l'absurde: on dévalorisera tellement les salaires que les consommateurs n'auront plus les moyens de payer les produits qui leur seront proposés; on en viendra à diminuer tellement les dépenses de recherche qu'il n'y aura plus ni marchandises nouvelles ni profits; on réduira tellement les prix qu'on en viendra à distribuer gratuitement les biens aux consommateurs.
Au total, cette évolution est suicidaire: comment épargner si l'on n'a pas de revenu décent? Comment distribuer des produits si personne ne veut payer les commerçants? Comment découvrir des médicaments si personne ne veut payer les recherches? Comment faire de la musique si personne ne veut payer les musiciens? Comment faire des journaux si personne ne veut payer les journalistes? A quoi sert de faire de la publicité si nul n'a les moyens d'acheter ce qu'elle vante?
Aux Etats-Unis, cela se traduit par une disparition de l'épargne, une précarisation du travail et la multiplication des technologies donnant accès à des services gratuits. En Europe, par une pression forte contre les distributeurs et une lente dislocation du tissu industriel. L'Asie fait le choix inverse: le Japon maintient des prix élevés pour les produits consommés sur le marché intérieur; la Chine et l'Inde sont en train de s'aligner sur ce modèle et tournent le dos au modèle occidental.
Pour que notre continent évite ce désastre, il faudrait se souvenir qu'il n'est de richesse qu'humaine et que la baisse des prix n'est pas une fin en soi. Cela supposerait une tout autre politique économique et commerciale, protégeant l'Union européenne d'une concurrence sauvage dont elle est aujourd'hui, naïvement, à la fois la victime et l'avocat.
En bref Attali annonce la décroissance... Mais je trouve qu'il y a quelque chose qui cloche entre ce que je lis là et des lectures habituelles. La décroissance serait le résultat de la folie capitaliste... Qui consisterait par ailleurs dans la croissance à tout prix. Où se situe-t-on ?
En fait, la recherche de croissance est une recherche de croissance du profit, pas forcément des activités des entreprises... Mais cela suppose ou de faire croître l'activité de l'entreprise, ou de réduire ses coûts. On peut difficilement faire les deux simultanément.
Alors, quel est le mouvement qui l'emporte ? Vendre plus ou dépenser moins ? Dépenser moins si l'on en croit Attali (ce que je veux bien croire aussi). Mais je ne lis jamais rien à ce sujet et il me semble que cette nuance est rarement expliquée. On a vite fait de dénoncer la folie consumériste, mais comment peut-on en parler si la tendance réelle de l'économie est à la décroissance ?
Rédigé par : adam kesher | 07 mars 2006 à 22:54