Ingénieur-conseil spécialisé dans les problématiques environnementales, Jean-Marc Jancovici s’est imposé comme expert sur la question du changement climatique. Avec Alain Grandjean, économiste, ils signent Le Plein s’il vous plaît !, un livre choc sur l’épineuse question des énergies fossiles : face à leur épuisement et leur impact sur le climat, quelle attitude adopter ?
Epuisement des ressources et changement climatique
On ne voit pas assez combien les énergies fossiles ont modifié notre mode de vie. Pour mieux s’en rendre compte, les auteurs proposent un indicateur original : l’ " équivalent esclave " ! Avec 1 euro, soit 10 minutes de travail pour une personne au SMIC, nous pouvons acheter l’équivalent du travail humain de 10 à 100 personnes sur une journée. Ainsi, chaque Européen dispose en permanence de 100 domestiques virtuels. Des transports au chauffage des habitations en passant par l’agriculture (nous " mangeons " du pétrole), l’abondance énergétique est bien le fait nouveau du dernier siècle.
Malheureusement, cette puissance énergétique est vouée à n’être qu’un épisode très bref dans l’histoire de notre espèce. C’est une certitude mathématique : les énergiques fossiles étant disponibles en quantité finie, il arrive forcément un moment où leur niveau de production atteint un maximum (le fameux " pic de production "), pour ensuite diminuer jusqu’à leur épuisement. Selon les opérateurs pétroliers, nous devrions atteindre ce pic entre 2010 et 2030.
Mais au-delà même de la disponibilité de ce type d’énergie, l’utilisation intensive que nous en faisons nous expose au danger majeur que représente le réchauffement climatique, " le plus grave problème que l’humanité ait à affronter ; devant le terrorisme " selon un conseiller scientifique de Tony Blair. Si l’inertie du phénomène fait que les perturbations que nous avons mises en route sont totalement irréversibles, il nous reste à décider quelle planète nous souhaitons léguer à nos enfants. Loin d’être " une pollution de plus ", le changement climatique pose la question inédite d’une nuisance globale, différée et irréversible. Il ne s’agit pas ici d’en décrire les effets par le menu mais simplement de rappeler qu’une hausse de quelques degrés de la moyenne planétaire en un ou deux siècle (hypothèse tout à fait plausible) irait cinquante à cent fois plus vite que ce que la nature a fait seule dans le passé. Bref, c’est à un véritable choc climatique que nous nous exposons.
Ces problèmes appellent une réponse immédiate de notre part. La régulation aura lieu de toute façon, que ce soit par l’épuisement des ressources fossiles ou bien par les conséquences du changement climatique (voire un mélange des deux !). Mais si nous l’anticipons, nous pouvons peut-être éviter de vivre des crises économiques d’une ampleur inédite et accompagnées de bouleversements politiques majeurs : des conséquences à mille lieux de la vision naïve de la " fin du pétrole ", selon laquelle il nous suffira de nous déplacer un peu plus souvent à vélo.
Sauvés par la technique ?
Mais la technique n’est-elle pas censée nous tirer de ce gouffre énergétique ?
Les énergies renouvelables, par exemple, ne sont-elles pas appelées à devenir une source intarissable d’énergie non polluante ?
Un rapide examen des ordres de grandeur suffit à nous faire déchanter. Par exemple, remplacer tout le pétrole importé en France par des biocarburants supposerait de planter du colza ou des betteraves sur 50 millions d’hectares. Or, la surface de la France métropolitaine est de 55 millions d’hectares ! Il en va de même, avec quelques nuances, pour les autres sources d’énergie renouvelable, de l’hydroélectricité à la géothermie en passant par l’énergie éolienne.
Quant au couple nucléaire-hydrogène, il constitue une solution intéressante en théorie, mais il est totalement exclu qu’à moyen terme, il puisse remplacer l’usage actuel que nous faisons du pétrole : un problème de temps et d’ordre de grandeur.
Enfin, ayons bien conscience du fait que les progrès techniques effectués depuis quelques décennies n’ont en aucune manière fait baisser notre consommation globale d’énergie. En réalité, le progrès technique ne sert pas à nous faire réaliser des économies globales mais à augmenter les usages. Peu importe que le frigo de l’an 2000 soit " économe " si l’augmentation de sa capacité annule les progrès réalisés en matière de rendement énergétique.
Une seule réponse possible : la taxe
Comment se fait-il que, face à de tels enjeux, les hommes politiques soient si peu actifs ?
En fréquentant les élus, les auteurs se sont aperçu du fait que ces derniers ne sont pas mieux informés que le reste de la population. En outre, ils sont victimes des signaux contradictoires que nous leur envoyons (moins de pollution, plus de production).
Les médias ont aussi leur part de responsabilité : choix des sujets, découpage de l’information, pression des annonceurs, ignorance des journalistes : rien ne favorise l’information sur le thème de l’énergie.
D’autant plus que nous sommes victimes du culte de la croissance économique et de son indicateur fétiche, le Produit Intérieur Brut. Pourtant, ses insuffisances sont manifestes. Contre une approche patrimoniale de la richesse (une approche de ce type permettrait, comme dans la comptabilité des entreprises, de prendre en compte la détérioration de l’ " actif " national), le PIB n’est qu’un flux qui ne comptabilise pas les atteintes à l’environnement. Devant un tel manque, la question n’est pas de savoir comment accroître le produit national mais plutôt : " Combien de points de PIB acceptons-nous de perdre aujourd’hui pour ne pas tout perdre plus tard ? ".
Comme le PIB, le prix du pétrole est déterminé au sein d’un système économique où la nature est gratuite. Sa dégradation ne se fera sentir dans l’économie qu’indirectement, à condition qu’une activité humaine qui en dépend voie son chiffre d’affaires en pâtir, ce qui peut n’arriver que longtemps après la détérioration. Dès lors, il n’est pas étonnant que le pétrole soit, pour reprendre l’expression des auteurs, " à prix cassés toute l’année " ! Mais " le coming-out des coûts cachés " (environnementaux et politiques) adviendra un jour ou l’autre. Et mieux vaut que cela ait lieu dans le cadre d’une démarche volontaire et progressive.
C’est alors la taxe sur les énergies fossiles qui paraît être le remède le plus adapté.
Elle permet tout d’abord de répartir l’effort entre tous les citoyens.
Durable et progressive, la taxe a pour effet d’étaler dans le temps la hausse inexorable du prix des énergies fossiles. L’économie pourra donc s’adapter en douceur à cette évolution.
Le produit (temporaire) de cette taxe pourrait servir à favoriser le changement, par exemple en finançant les investissements nécessaires à la baisse de la consommation d’hydrocarbures. On pourrait également l’utiliser pour aider les " perdants " de cette " nouvelle économie " à se reconvertir.
S’il faut souhaiter que cette taxe soit instaurée au niveau mondial, l’action nationale reste pertinente. A court terme, il sera nécessaire de protéger nos entreprises contre la concurrence par des droits de douane. Mais à long terme, leur anticipation de la hausse du prix des hydrocarbures leur conférera un avantage considérable sur le marché mondial.
Le style oral et vivant du Plein, s’il vous plaît fait la force de ce livre militant, dont le but est avant tout pédagogique. Les auteurs anticipent systématiquement les critiques qui pourraient leur être adressées. A travers une argumentation très claire, ils nous proposent une vision globale et cohérente du problème de l’énergie et des réponses à y apporter.
Ce livre constitue un excellent tremplin vers L’Avenir climatique (de Jancovici) ou d’autres ouvrages d’approfondissement par lesquels les sceptiques compléteront avantageusement leur information.
Enfin, n’hésitez pas à vous rendre sur le site de Jean-Marc Jancovici (http://www.manicore.com), mine de renseignements quasi-inépuisable (contrairement aux ressources fossiles !) sur la question du changement climatique.
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