Débat et réactions, suite à l'article publié dans Le Monde
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"L’obscure lubie des objecteurs de croissance" et la bêtise du Monde...
"Au-delà des grands classiques - protection sociale, flexibilité du marché du travail, chômage des jeunes, dette publique -, un thème économique inédit pourrait émerger lors de la campagne présidentielle. Celui de la décroissance, doctrine en vogue. L’économie, nous dit-elle, a besoin, pour croître, de ressources énergétiques. Or, celles-ci étant limitées, la croissance est un non-sens. Il faut de toute urgence opter pour la décroissance économique, seule voie pour sauver la planète de la folie des hommes.
"Chacun comprend qu’une croissance infinie est matériellement impossible dans un monde fini", affirme dans son programme le Parti de la décroissance, né en avril 2006, et qui organise, cet été, plusieurs marches prosélytiques. Car il s’agit de remettre dans le droit chemin les pauvres pécheurs consommateurs. "La décroissance est d’abord une désintoxication, une désaliénation, un désencombrement."
Les objecteurs de croissance, comme ils aiment à se surnommer, bénéficient de la puissance médiatique de quelques-uns d’entre eux, comme José Bové, Yves Cochet, Nicolas Hulot ou Hubert Reeves. Ils profitent aussi de la perte de vitesse, chez les altermondialistes, du combat contre le libéralisme, moins mobilisateur depuis que ce dernier n’est plus incarné par les Etats-Unis mais par des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Apparemment d’une grande simplicité, le concept de décroissance repose en réalité sur des fondations philosophico-scientifiques complexes, voire obscures. "Nous analysons l’économie comme un système de transformation de matière et d’énergie régi par les lois de la physique, et non comme une machine à mouvement perpétuel conduite par des forces exogènes, avec la monnaie pour unique médium", explique un de ses maîtres à penser, Robert Ayres, qui préconise de mesurer production et échanges en joules plutôt qu’en dollars.
Les "décroissants" se proclament humanistes, mais ils ne croient pas en l’homme. Leur pessimisme leur fait dire que l’humanité ne sera pas assez inventive pour trouver des énergies de substitution au pétrole ni assez raisonnable pour éviter un désastre écologique. Mais ils laissent à son sort le milliard d’êtres humains qui vit avec moins de 1 dollar par jour.
Si les économistes ne croient plus à l’idée, dominante dans les années 1960, selon laquelle une croissance forte est une condition suffisante pour vaincre la pauvreté, ils s’accordent en revanche pour dire que la progression du PIB est une condition nécessaire. "Il est impossible de faire reculer la pauvreté s’il n’y a pas de croissance économique", résume Humberto Lopez, coauteur du rapport de la Banque mondiale "Poverty Reduction and Growth : Virtuous and Vicious Circles". "Une politique de réduction de la pauvreté sans croissance n’est pas viable, ajoute l’économiste Pierre Jacquet. Pour produire des biens publics et promouvoir des objectifs sociaux, il faut un flux de ressources nouvelles, et donc de la croissance." En Chine, le nombre de personnes très pauvres est passé, grâce au boom économique, de 377 millions en 1990 à 173 millions en 2003. Selon certaines simulations, l’extrême pauvreté y sera éradiquée dans quinze ans si le PIB continue à progresser au même rythme. Le scénario catastrophe par excellence pour les objecteurs de croissance.
Au-delà des préoccupations écologiques légitimes qui sont les siennes, il faut prendre la doctrine de la décroissance pour ce qu’elle est, une théorie élaborée par des individus habitant des sociétés prospères. Une lubie de gosses de riches parfaitement égoïstes. Mais cela va généralement ensemble."
(Le Monde, Pierre Antoine Delhommais, édition du 30 juillet 2006)
"Découvert via Eric Mainville, de "Crise dans les médias" : l’article parfaitement navrant du Monde sur la décroissance (ndlr > article reproduit ci-dessus / ne pas manquer également l’article d’Eric linké ci-avant). Article du Monde parfaitement navrant et c’est bien dommage, car c’est un article engagé, autrement dit une espèce en voie de disparition.
[La lecture de ce qui suit est inutile si l’on a pas lu l’article du Monde.]
"Au-delà des grands classiques - protection sociale, flexibilité du marché du travail, chômage des jeunes, dette publique -, un thème économique inédit pourrait émerger lors de la campagne présidentielle. Celui de la décroissance, doctrine en vogue", prévient l’article dans son introduction. Bonne nouvelle pour le freeman qui sommeille en chacun de nous. Mais si ce thème est traité comme il vient de l’être dans le Monde, autant qu’il ne le soit pas du tout.
La thèse du Monde : la décroissance serait une idée fantaisiste puisque la croissance est une condition nécessaire pour sortir le milliard d’être humains qui vivent dans l’extrême pauvreté. C’est sûr, puisque des économistes l’ont dit (pour savoir ce que je pense des économistes rendez-vous ici).
Croissance ou décroissance. Le bien ou le mal. Blanc ou noir. PSG ou OM. Mais où sont les nuances que l’on est en droit d’attendre d’une référence comme le Monde ?
On peut commencer par se demander pourquoi, si la croissance est une composante de la solution contre la misère, celle-ci est si commune. Ben oui, il y a quant même de la croissance dans le monde.
Mais telle qu’elle existe aujourd’hui, elle est surtout l’apanage de certains. Ce n’est pas parce que les Etats-Unis croissent que le reste du monde en profite.
Parler d’un objectif de croissance partagée serait plus approrié. Et déjà plus utopique, car si la Chine, le Brésil ou l’Inde croissent, l’immense majorité des pays dits "du Sud" restent dans leur misère.
Invitons aussi le Monde à aller écouter Alain Lipietz chez Nuesblog. Ou si cela est trop long, à en lire un extrait produit par José sur Carnets de nuit :
"il va y avoir des choses qui vont croître et d’autres qui vont décroître. Le temps libre doit croître, la consommation de biens matériels privés, en général elle doit décroître, mais la consommation des transports en commun, elle doit croître."
Hé oui. Certaines choses doivent croître, d’autres doivent décroître. La décroissance n’est pas nécessairement un concept total. C’est d’abord une idée qui doit nous interpeller. Non, parler de décroissance, ça ne veut pas dire que chaque être humain doive accepter de vivre plus pauvrement qu’aujourd’hui. Mais oui, pour certains, les riches habitants des pays riches, ça pourrait dire qu’il faille se contenter de moins.
La décroissance est un concept solidaire. On a vu qu’avec la croissance, ce n’est pas parce que certains avancent que tout le monde avance. Aujourd’hui, les inégalités croissent. Avec la décroissance, ce n’est pas parce que certains - ou certaines choses - reculent que tout le monde recule.
Evidemment, la décroissance comme concept total (décroissance pour tous et partout) est difficile à admettre. Imagine 2012 propose 3 types d’objectifs pour les Etats-Nations en fonction de leur Indicateur de Développement Humain : le progrès durable pour les plus riches, le développement durable pour les "moyens", et la croissance économique pour les plus pauvres. Le mot décroissance n’est pas utilisé, mais ces objectifs sont directement inspirés de l’idée de décroissance.
Progrès durable, développement durable, croissance économique : hou la la, que c’est compliqué. Pour le Monde, c’est croissance ou décroissance. Rien entre les deux.
Se contenter de moins ? En vouloir plus ? on sait bien que le débat n’est pas là, mais dans la recherche du Mieux.
Faire croître ce qui préserve la satisfaction des besoins des générations futures, faire décroître ce qui les compromet : cela pourrait être une définition du Mieux.
Ce qui implique aussi de cesser de s’en tenir à la seule croissance du PIB comme on le définit aujourd’hui. Et plutôt de mesurer le progrès, comme le fait l’association Redefining Progress en retranchant du PIB l’impact du crime, des crises, de la pollution... dont le traitement crée, techniquement, des richesses. Mais qui n’indiquent pas un bon bilan de santé pour un pays (voir l’explication de José).
Mais tout cela est sans doute trop complexe pour être expliqué par le quotidien le plus influent de France. Imaginez ce que ça va donner dans le 13h de TF1 si le Monde traite le sujet comme ça. J’en suis d’autant plus désolé que je suis persuadé qu’aucune critique émise sur aucun blog ou "média citoyen" ne saurait toucher les divas de la presse nationale, qui ne viendront jamais discuter ici ou sur d’autres lieux qui tentent de traiter le sujet intelligemment.
En attendant, le gap se creuse encore entre les médias et l’opinion.
Je veux bien qu’on démolisse le concept de décroissance comme idée "totale". Mais je n’arrive pas à comprendre qu’on n’oppose que la croissance à la décroissance et qu’un tel article ne puisse pas servir à ouvrir à la réflexion sur l’idée du progrès comme référence commune.
Et pour conclure, (ces) deux images de la recherche de croissance à tout prix, fournies par l’actualité de ces derniers jours..."
(blogué à l’initiative de Seb, choqué par l’article du Monde et loin de toute connexion internet ;)
merci Nico !
Rédigé par : seb | 01 août 2006 à 22:05