La micropolitique va s’emparer, et jusqu’à l’élection présidentielle de 2007, d’une question fondamentale mais parfaitement obsolète : êtes-vous de droite ou de gauche ? Êtes-vous ségoliste de droite ou sarkozien de gauche ? Êtes-vous vert tendance gauche plurielle, ou vert nuance Hulot-Chirac ? Les journalistes et autres spécialistes de la géométrie de l’échiquier politique tourneront ces questions dans tous les sens, jusqu’à nous écœurer. Il faudra se positionner, de gré ou de force, se placer dans une case étiquetée, entrer dans le moule des idées vides.
Ces questions n’ont en effet plus de sens aujourd’hui. Ce sont des simplifications abusives qui se situent en décalage avec la complexité des problématiques et avec l’intelligence des électeurs. Les politiques qui vont se présenter à nos suffrages doivent comprendre que les citoyens ne sont pas désintéressés par la politique, bien au contraire ; en revanche, ils sont déçus des clivages politiques désuets, du manichéisme puéril des discours et de la réduction hypermédiatique des idées. Face aux enjeux de notre époque, ces artifices sémantiques ne sont que piètres déguisements pour occulter les réalités et éluder les questions qui méritent d’autres réponses que celles mijotées dans les vieilles marmites de la politique du siècle dernier. Des réponses plus radicales, en un mot : révolutionnaires.
Car c’est de révolution dont il s’agit. De révolution humaine.
Quand on parle de révolution humaine, on doit repenser le mot même de révolution. Il recouvre désormais une métamorphose multidimensionnelle qui se joue partout, qui modifie nos façons de penser, de nous comporter et d’agir. La révolution humaine vient de partout et de nulle part. Elle vient de l’inconscience des besoins primordiaux de l’humain et de la conscience devenue extrême de se survivre. Cette révolution ne renvoie pas à un monde meilleur mais à un monde que l’on aura sauvé de la catastrophe. La révolution humaine n’a pas de meneur, elle n’a pas de tactique, elle n’a pas non plus de noyau social. Elle est une galaxie de révolutions autonomes et interdépendantes, dans tous les domaines. Elle est la sortie de la grande confusion.
La révolution humaine c’est aussi celle de l’intelligence. On la voit se développer sous nos yeux et provoquer d’immenses formes de confusion et de résistances. Résistances culturelles fondées sur l’inégale capacité des individus à abstraire les informations, à utiliser les codes, les symboles, les langages et les procédures parfois complexes, sur la mise en évidence des décalages éducationnels, sur la circulation des productions intellectuelles et sur leur protection... Résistances politiques devant l’obsolescence des frontières nationales, l’émergence de nouvelles aspirations démocratiques, subversives ou révolutionnaires, devant les décalages entre les réglementations anciennes et la vocation de liberté des réseaux... Résistances économiques face à l’instauration de nouvelles organisations et de nouvelles formes hiérarchiques, à l’explosion territoriale des zones commerciales, à l’arrivée de nouveaux producteurs et modes de distribution... Résistances médiatiques face à l’émergence de nouveaux types de supports, l’accès immédiat à une multitude d’informations, l’ubiquité du réseau, l’automédiatisation de plus en plus répandue...
Ces résistances sont en décalage avec les mutations actuelles. Elles se déploient pour freiner, plus ou moins confusément, avec plus ou moins de succès, l’émergence des dispositifs de démocratie directe, de mise en réseau des intelligences et de développement du cyberespace politique, économique et social. Les couplets convenus récités sur la politique, les libertés et la démocratie, masquent mal ces combats d’arrière-garde qui luttent de manière pathétique pour canaliser un mouvement irréversible, certes éminemment subversif, mais hautement civilisationnel. Un mouvement qui n’a que faire de se positionner à gauche ou à droite.
Cette révolution implique de repenser fondamentalement le politique, et dans ces sociétés complexes qui naissent, de réinventer la démocratie. La tâche qui nous attend n’est pas aisée, car elle se déroulera dans une réalité confuse, violente et souvent imprévisible. Il nous faudra faire l’apprentissage de dimensions nouvelles, de réalités différentes et de disparités prodigieuses. Le réel devra être appréhendé dans sa contingence. Il ne souffrira pas de décisions ou d’initiatives souveraines ; il exigera des réponses qui ne seront formulées que si, au préalable, un accueil a été réservé aux réalités de l’autre.
Le politique, s’il ne veut pas être volatilisé par la révolution, doit trouver sa place dans un système de régulations à niveaux multiples dans lequel les relations souples, moléculaires et réticulaires entre les éléments seront plus importantes que les directives d’homogénéisation, d’unité et de sens imposé. Le politique devra abandonner ses certitudes et son orgueil, accepter que la société ne soit plus totalement objectivée ni homogénéisée, qu’elle n’entre pas forcément dans les cases de droite ou de gauche, et que, sans être opaque, elle comporte désormais une nouvelle dimension : celle d’une indétermination ouverte, susceptible d’une pluralité d’interprétations. Le politique devra se défaire de son aura archétypale d’incontestabilité ; il pourra alors jouer son rôle de pilotage vers une révélation partielle du réel, toujours susceptible d’amendements et de remises en question.
Cela ne signifie pas un aveu de faiblesse. Au contraire, de nouveaux axes orthogonaux devront apparaître dans ses plans, au-delà de la gauche et de la droite ; c’est ce qui lui donnera toute sa force.
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