Ce billet est dédié à Xavier Turbulin (*)
Hier, une femme pieds nus, une clocharde, déambulait au milieu de la route. Quand elle rejoignit le trottoir, elle importuna une dame très digne qui remplissait le coffre de sa voiture (neuve) de boîtes d'aliments pour chat.
Le coffre plein de l'une.
Les pieds nus de l'autre.
La ministre de l'Emploi, Christine Lagarde - avocate d'affaires ayant brillamment réussi Outre-Atlantique avant d'accepter, honorée,
ses nouvelles fonctions, a présenté aujourd'hui les contours de la
prochaine fusion de l'Agence Nationale pour l'Emploi et des Assedic.
La ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, Christine Lagarde, a affirmé que la fusion ANPE-Assedic permettra à chaque agent de suivre trente demandeurs d'emploi contre soixante actuellement. Cet objectif devrait permettre de ramener le taux de chômage à 5 % avant la fin 2012, a expliqué Mme Lagarde, dans un entretien publié mardi 2 octobre dans le quotidien économique Les Echos (source)
L'ANPE est un service public chargé de l'accompagnement des demandeurs d'emploi dans leur recherche.
Les Assedic sont chargés de l'indemnisation des chômeurs, pour peu qu'ils y aient droit.
40% des demandeurs d'emploi ont droit à des indemnités.
Ces
indemnités s'étalent sur 7 à 23 mois en fonction du temps de cotisation
préalable à leur perte d'emploi et des conditions de cette perte
d'emploi.
Elles représentent environ 60% du salaire net précédent.
L'ANPE est constituée de 30.000 agents environ, dont 22.000 sont au contact avec le public. Le reste, c'est de l'administration, de l'huile de rouage. On intègre l'ANPE par concours. En moyenne, il y a 200 candidats par poste proposé. Il s'agit d'une administration publique. Ses agents ne sont pas fonctionnaires mais contractuels de l'état.
L'ASSEDIC propose à ses 15.000 salariés des contrats de droit privé. L'embauche se fait sur la base d'entretien suite au dépôt de CV.
Les
conditions de salaire ne sont pas les mêmes pour les uns et pour les
autres. Il y a une différence d'environ 30% entre les conseillers à
l'emploi et les agents Assedic. Au profit des seconds (1473 € bruts en
début de carrière pour les conseillers ANPE).
Les premiers sont dans l'accompagnement, les seconds dans le calcul et le versement des indemnités.
Sociaux versus comptables.
On va les unir d'ici la fin de l'année.
Selon la ministre,"avec la fusion de l'ANPE et de l'Unedic, chaque chômeur disposera d'un interlocuteur unique, qui assurera à la fois son accueil, son inscription, son indemnisation et son accompagnement dans la recherche d'un nouvel emploi" (source)
Ceci permettra, dixit la ministre, de faire passer de 60 à 30 le nombre de chômeurs accompagnés par chaque "expert" de la nouvelle entité.
Des raisons comptables peuvent expliquer ce raccourci.
Mais qu'est-ce qui explique le mensonge ? (**)
Actuellement, les conseillers ANPE suivent chacun de 150 à 250 demandeurs d'emploi (imaginez l'accompagnement mensuel de plus de 150 personnes aux parcours, aux métiers et aux contraintes différents).
Pourquoi alors parler de 60 demandeurs par conseiller actuellement ?
- parce que la ministre ne connaît pas son sujet ?
- parce que l'ANPE est de toute façon le service public le moins aimé des Français et qu'en conséquence, personne ne s'élèvera pour sa défense- parce que rien ni plus personne, dans l'actualité telle qu'elle est produite aujourd'hui, n'est en mesure de demander correction et mesure ?
Plus simplement : parce que tout le monde s'en fout.
Il
n'y a pas 2 millions de demandeurs d'emploi en France, comme on
l'entend, le lit ou le voit chaque mois (bientôt chaque trimestre, ne gâchons pas le temps
qui passe).
Ces 2.000.000 sont les chômeurs dits de catégorie 1.
Or il y a 8 catégories.
Ne sont pas comptabilisés dans les chiffres les demandeurs d'emploi :
- âgés de 57 ans et plus
- en arrêt maladie
- ayant travaillé plus de 78 heures le mois précédent
- en formation
- des départements d'outre-mer
- ayant été radiés pour défaut de pointage ou autre
- étudiants à la recherche d'un emploi
- non inscrits parce que mal informés de leurs droitsLe chiffre réel dépasse les 5 millions de personnes
Les futurs conseillers à l'emploi de France Emploi, nom de code de la fusion ANPE-ASSEDIC, se chargeraient ainsi de 30 demandeurs d'emploi chacun, de l'indemnisation à la recherche d'emploi.
Or 5.000.000 / 30 = 166.666
Il faudrait donc plus 166.000 conseillers dans les nouveaux Job Centers à la française.
Qui en disposeront, après fusion, de 45.000 -même en tolérant le raccourci comptable évoqué plus haut.
Cela signifie donc que les futurs spécialistes de l'accompagnement, qui seront sur le papier 45.000 mais effectivement 35.000 opérationnels face au public, ne s'occuperont pas de tous les chômeurs.
Car seuls les demandeurs d'emploi indemnisés importeront.
C'est déjà souvent le cas.
Essayez de faire une formation après 9 mois de chômage...
Allez, délirons : d'ici 2012 (puisque le Futur semble avoir retrouvé son millésime emblématique avec la date des prochaines élections présidentielles -le second mandat de l'homme pressé et pressant), les entretiens d'embauche seront payants pour les candidats à l'emploi !
Pauvres chômeurs...
Il se dit que les chômeurs ont été inventés pour faire peur aux salariés. Les bénéficiaires du RMI pour effrayer les chômeurs. Et les SDF pour faire taire ces derniers.
Travailler plus pour être plus... seuls.
Une prochaine fois, on pourra parler de ce que signifie le Grenelle de l'insertion dont le propos serait de remplacer les 10 contrats aidés existants par un seul (source).
Diable que le pavé est froid.
Minou, la pâté est servie !
(*) chômeur qui s’est immolé par le feu le 1er mai 1993 à Bordeaux. Cet homme, âgé d’une trentaine d’années, a déclaré aux sauveteurs avant de décéder « qu’il ne supportait plus d’être sans travail depuis un an ». Il s’était aspergé d’essence avant de l’enflammer, peu avant minuit, sur le quai de Brienne, à la sortie de Bordeaux.
Ce même jour, le 1er mai 1993, l'ancien Premier Ministre Pierre Bérégovoy s'était également suicidé, ce qui avait complètement occulté dans la presse le geste de désespoir de Xavier Turbulin (source)
(**)
Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes
Parce que Messieurs quand on le laisse seul
Le monde mental Messieurs
N'est pas du tout brillant
Et sitôt qu'il est seul
Travaille arbitrairement
S'érigeant pour soi-même
Et soi-disant généreusement en l'honneur des travailleurs du bâtiment
Un auto-monument
Répétons-le Messsssieurs
Quand on le laisse seul
Le monde mental
Ment
Monumentalement.
Jacques Prévert, Il ne faut pas
chanté par Serge Reggiani
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