
L'imprudent ! Alors que le règne du président touche à sa fin, Giesbert à décidé de « vider ses carnets » comme il dit. Pour l'Histoire et pour notre plus grand plaisir. Il répond par avance à ceux qui lui reprocheront d'avoir trahi la confiance de Chirac : « Si on veut garder sa part d'ombre, il ne faut pas fréquenter les journalistes.» Surtout pas FOG !
Giesbert ,qui s'est toujours méfié des justiciers, n'adopte pas le ton du réquisitoire. Il montre un Chirac en chair et en os, tel qu'il est : bambochard, cabochard, égotiste, indécis, manipulateur, rancunier. C'est autrement dévastateur ! Bref, un politicien «qui pour arriver à ses fins a beaucoup trompé, tué, menti.» Et qui «après avoir conduit sa vie au son des trompettes s'est transformé, l'âge venu, en l'incarnation du déclin français.» Le constat est d'autant plus cruel que Giesbert avait dressé un portrait plutôt flatteur de Chirac dans un précédent livre paru en 1987 (2). Chirac était alors à Matignon pour la première cohabitation. Face à un Mitterrand enfermé en son palais de l'Elysée, l'avenir paraissait à lui. Oh certes, Giesbert n'avait rien caché des défauts de celui qu'il appelait « le hussard bleu », notamment cette absence d'idées qui fit dire un jour à Edgar Faure : «Pour Chirac, penser, c'est d'abord penser à ce que pensent les autres.» Mais aussi ce besoin de mentors successifs, ces zigzags déroutants, cette incapacité à voir loin. N'empêche ! Giesbert avait contribué à améliorer l'image de Chirac en dessinant un personnage baroque plus complexe qu'on ne le disait alors.
FOG s'est toujours méfié des grandes idées et des grands discours. Ce ne sont le plus souvent, à ses yeux, que des rideaux de fumée qui cachent l'essentiel : les ambitions, les trahisons, les échecs. Avec Chirac, il avait trouvé un personnage de cape et d'épée comme il les aime. Aujourd'hui encore, malgré le fiasco présidentiel, malgré une «tragédie personnelle devenue, sur la fin, une tragédie nationale», il conserve une certaine sympathie pour un homme qui, dit-il, «avait tout pour lui». Alors pourquoi cette «inaptitude à gouverner qui l'amène tôt ou tard à dresser le pays contre lui» ? Faut-il y voir comme Valéry Giscard d'Estaing une raison quasi psychanalytique : «Il faut toujours qu'il coure car il fuit quelque chose. Un vide, une angoisse, je ne sais quoi. Il est trop mal dans sa peau pour rester en place.» Ou bien un désintérêt donjuanesque du pouvoir dès lors qu'il l'a conquis. Ce qui ne l'empêche pas de s'y accrocher de toutes ses forces.
Après sa déroute de 1988, Chirac avait beaucoup douté : «J'ai tout raté. Professionnellement, mon échec est patent. Quant à ma vie personnelle, c'est un naufrage.» Dix ans plus tard, après le désastre de la dissolution de 1997, il confie, désabusé, à FOG : «Tous ces types qui veulent devenir président, je les plains sincèrement. (...) A la limite, on prendrait le premier clampin venu dans la rue et on lui dirait «allez, c'est vous le nouveau chef de la droite», les gens applaudiraient. C'est ce qu'ils veulent. De nouvelles gueules, plus de combines ni de vieux barbons. Que voulez-vous que je fasse? (...) Si je veux revenir un jour en grâce, je dois me faire oublier et me planquer. Alors, je me planque.»
Le 25 mai 2000, Chirac livre sa conception de l'exercice du pouvoir à François Bayrou : «La politique, ce n'est pas des idées. Le Premier ministre est là pour que ça ne se passe pas trop mal en France. Et le président de la République pour représenter le pays à l'étranger. »
Ce sont cet immobilisme, cette absence d'ambition que Giesbert reproche le plus au président. «Alors qu'il fallait l'adapter, il s'est contenté de geler le modèle social français. (...) C'est une faillite sociale, économique et morale mais apparemment elle ne trouble pas la digestion ni la conscience de Jacques Chirac. Par lâcheté autant que par aveuglement, il persiste à suivre une politique qui, depuis plus de vingt ans, mène le pays à la ruine.» Rude constat.
« La Tragédie du président » se lit comme un roman. On y surprend Chirac en flagrant délit de mensonge, le 29 mars 1993. FOG est dans le bureau d'Edouard Balladur qui compose son gouvernement. Chirac n'arrête pas d'appeler ce dernier pour tenter de caser ses amis. Balladur, agacé : «Il me casse les pieds, Jacques (...). Ce garçon est vraiment incorrigible.» Le soir même, le journaliste est avec Chirac qui lui dit : «La formation du gouvernement, je ne m'en mêlerai pas. Ce n'est pas mon problème, c'est celui d'Edouard.»
On apprend que Chirac peut même aller plus loin lorsqu'il affirme devant Bayrou : «Aucun pays européen n'a jamais adopté la proportionnelle». Bayrou : «Désolé de te contredire, mais tous les pays européens, sauf la Grande-Bretagne, ont la proportionnelle.» Chirac s'emporte : «C'est faux!» Commentaire de Giesbert : «Qu'importe la réalité si elle ne va pas dans son sens. Il l'étouffe sous les mots.»
De même, on est plongé au coeur de l'affaire Clearstream. Un gigantesque système d'argent sale dans lequel on a tenté de mouiller Sarkozy. On voit Villepin, triomphant, prévenir Raffarin : «
Giesbert juge Villepin en partie responsable de la solitude du président. Baroque et exalté, épris de lui-même, ce «rodomond de passage en politique» a, selon lui, «pris le contrôle du cerveau présidentiel.» Et il a su «asphyxier l'entourage, éliminer les rivaux, promouvoir les nigauds ou fermer les portes de l'Elysée aux nouveaux talents de la droite qu'il couvre de sarcasmes.» Autrement dit, il a fait le vide pour mieux s'imposer.
Le Chirac décrit par Giesbert en 1987 était un bretteur conquérant. Celui de 2006 est un loser qui «élude, évacue, consensue. Il ferme la marche. Il est le berger de derrière.» Un homme en fin de course «retranché de la vie avec son souffle au coeur et puni de la solitude à l'Elysée, emmuré dans son palais, il y tue le temps qui, à la longue, s'est vengé en l'enterrant vivant.» Giesbert conclut sur une pirouette charitable : «Chirac en a vu d'autres et il est de ceux qui ne meurent jamais vraiment.» Tout son livre dit le contraire : le président est bien mort politiquement le 29 mai 2005.
(1) «La Tragédie du président», 2006, Flammarion.
(2) «Jacques Chirac», 1987, Seuil.
Robert Schneider
Comment Chirac les voit
Balladur
« Cet homme a beaucoup de qualités. Mais il en est une dont il a toujours manqué : c’est le courage. » (Mai 1994)
« Certains soirs il aura du mal à se regarder dans la glace. Il lui restera bien un petit fond d’éthique même si je ne me fais plus trop d’illusions. » (Juin 1994)
Sarkozy
« Il a dépassé la ligne jaune, Sarkozy. Je ne suis pas un type rancunier. Je lui avais déjà pardonné de m’avoir manqué et même trahi. Mais là, il en fait trop. Il prend tellement d’excitants, vous savez ! Il perd ses nerfs. Il me cherche des poux dans la tête, lance le fisc à mes trousses et arrose les journaux de dossiers contre moi. » (Mars 1995)
« J’ai compris ce qu’il veut. Faire de moi un roi fainéant. Eh bien qu’il ne compte
pas sur moi pour l’aider. » (Octobre 2003)
Et lorsque, après l’échec du référendum, Jérôme Monod, son conseiller, se dit convaincu que seul Sarkozy peut sauver les meubles : « Chirac, je n’ai pas confiance. Il est fou. Monod, non il n’est pas fou. Juste maniaco-dépressif. » (Juin 2005)
Villepin
(Après avoir annoncé en Avignon son intention de se représenter) « Je n’ai rien dit à personne. Ni à Claude ni à Dominique. J’avais trop peur qu’ils vendent la mèche. (…) Sans compter que les gens ont parfois besoin de se rendre importants : Dominique aurait été capable d’expliquer, avant, qu’il avait tout imaginé lui-même ! » (Février 2002)
La droite
« Ces gens-là sont pathétiques. Des lilliputiens, des fourmis, des morpions de l’ambition. Ils se tirent dessus à vue sans comprendre que l’opinion se fout et se contrefout de savoir qui va gagner, si seulement il en reste un vivant après la fusillade générale ». (Octobre 1998)
Les juges
« Ils veulent ma peau. (…) Je ne sais pas s’ils veulent foutre en l’air la société ou tout simplement s’attaquer à tout ce qui brille dans le pays et aux têtes qui dépassent. Ces olibrius prêts à tout pour avoir leur photo dans le journal créent un climat détestable en filant tous leurs dossiers à la presse au mépris de la présomption d’innocence ». (Juillet 1996)
Séguin
« Il est tellement solitaire (…) qu’il sera toujours un baryton sans orchestre ». (Octobre 1998)
Giesbert
Au journaliste qui pendant la campagne de 1995 s’interrogeait sur la compatibilité de ses promesses : « Vous ne comprenez rien, vous n’avez jamais rien compris. Je ferai ce que j’ai prévu de faire. Je mettrai en œuvre un changement dont on n’a pas idée. Tout le reste, c’est du ratiocinage et du saucissonnage de cheveux. Bref, de la connerie de journaliste ». (Avril 1995)
Et eux, comment ils le voient
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