Le débat engagé à la suite de la publication par le quotidien danois Jyllands-Posten de 12 dessins sur le thème de Mahomet devrait se poursuivre sur le terrain des idées et non de l'émotion, des clameurs, des anathèmes et des actes de violence souvent orchestrés. Inquiets de l'autocensure que ce type de réactions suscite, 12 intellectuels ont décidé de signer ce manifeste pour appeler ensemble à la résistance face aux tentatives d'intimidation des intégristes. Certains d'entre eux ont déjà payé cher leur indépendance d'esprit et leur courage. C'est en particulier le cas des dissidents de l'islam menacés de mort et exilés en Europe ou aux Etats-Unis à cause de leurs prises de position laïques: le romancier Salman Rushdie, évidemment, qui vit traqué depuis qu'en 1989 l'ayatollah Khomeini a lancé contre lui sa fatwa de mort, la gynécologue et écrivaine Taslima Nasreen, condamnée à mort elle aussi en 1994 pour avoir osé suggérer que le Coran se trompait en opprimant les femmes, ou Ayaan Hirsi Ali, députée au Parlement néerlandais et scénariste du film qui a valu au cinéaste Theo Van Gogh d'être assassiné par un islamiste en 2004. Voici le texte du manifeste, publié le 1er mars par l'hebdomadaire Charlie Hebdo
"Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire: l'islamisme. Nous, écrivains, journalistes, intellectuels, appelons à la résistance au totalitarisme religieux et à la promotion de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité pour tous.
Les événements récents, survenus à la suite de la publication de dessins sur Mahomet dans des journaux européens, ont mis en évidence la nécessité de la lutte pour ces valeurs universelles. Cette lutte ne se gagnera pas par les armes, mais sur le terrain des idées. Il ne s'agit pas d'un choc des civilisations ou d'un antagonisme Occident-Orient, mais d'une lutte globale qui oppose les démocrates aux théocrates.
Comme tous les totalitarismes, l'islamisme se nourrit de la peur et de la frustration. Les prédicateurs de haine misent sur ces sentiments pour former les bataillons grâce auxquels ils imposeront un monde encore liberticide et inégalitaire. Mais nous le disons haut et fort: rien, pas même le désespoir, ne justifie de choisir l'obscurantisme, le totalitarisme et la haine. L'islamisme est une idéologie réactionnaire qui tue l'égalité, la liberté et la laïcité partout où il passe. Son succès ne peut aboutir qu'à un monde d'injustices et de domination: celle des hommes sur les femmes et celle des intégristes sur les autres. Nous devons au contraire assurer l'accès aux droits universels aux populations opprimées ou discriminées.
Nous refusons le «relativisme culturel» consistant à accepter que les hommes et les femmes de culture musulmane soient privés du droit à l'égalité, à la liberté et à la laïcité au nom du respect des cultures et des traditions.
Nous refusons de renoncer à l'esprit critique par peur d'encourager l' «islamophobie», concept malheureux qui confond critique de l'islam en tant que religion et stigmatisation des croyants.
Nous plaidons pour l'universalisation de la liberté d'expression, afin que l'esprit critique puisse s'exercer sur tous les continents, envers tous les abus et tous les dogmes. Nous lançons un appel aux démocrates et aux esprits libres de tous les pays pour que notre siècle soit celui de la lumière et non de l'obscurantisme."
Signatures: Ayaan Hirsi Ali (députée au Parlement néerlandais), Chahla Chafi (écrivaine), Caroline Fourest (essayiste), Bernard-Henri Lévy (philosophe), Irshad Manji (écrivaine), Mehdi Mozaffari (essayiste), Maryam Namazie (essayiste), Taslima Nasreen (médecin et écrivaine), Salman Rushdie (romancier), Antoine Sfeir (directeur des Cahiers de l'Orient), Philippe Val (directeur de Charlie Hebdo), Ibn Warraq (chercheur au New York Institute).
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