C'est un petit bonheur que j'avais rencontré. Il était tout en fleurs sur le bord du passé. Quand il m'a vu flâner, il s'est mis à chanter : "Monsieur embrassez-moi, chez vous emmenez-moi ! Mes frères m'ont agacés, je suis véxée, je suis une femme. Si vous ne me cueillez point, je vais périr, quelle balade ! Je me ferai petite, tendre et soumise, je vous le jure. Monsieur, je vous en prie, délivrez-moi de ma luxure." J'ai pris le petit bonheur, l'ai mis sous mes haillons. J'ai dit "Faut pas qu'elle pleure, viens-t'en dans ma maison". Alors le petit bonheur a fait sa floraison. Sur le bord de mon coeur, y avait une chanson. Mes jours, mes nuits, mes peines, mes deuils, mon mal, tout fut oublié. Ma vie de désoeuvré, j'avais le dégoût de la recommencer. Quand il pleuvait dehors ou que mes amis me faisaient des peines, je prenais mon petit bonheur et je lui disais : c'est toi ma Reine.
Mon bonheur a fleuri, il a fait des bourgeons. C'était le paradis, ça se voyait sur mon front. Or un matin joli que je sifflais ce refrain, mon bonheur est parti sans me donner la main. J'eus beau la supplier, la cajoler, lui faire des scènes, lui montrer le grand trou qu'elle me faisait au fond du coeur, elle s'en allait toujours la tête haute sans joie, sans haine, comme si elle ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure. J'ai bien pensé mourir de chagrin et d'ennui, j'avais cessé de rire, c'était toujours la nuit. Il me restait l'oubli, il me restait le mépris. Enfin je me suis dit : il me reste la vie. J'ai repris mon bâton, mes deuils, mes peines et mes guenilles et je bats la semelle dans des pays de malheureux. Aujourd'hui, quand je vois une fontaine ou une fille, je fais une jolie note ou bien... Je r'ouvre les yeux.
[Selon un texte revu et corrigé de Félix Leclerc, 1914-1988]
C'est trés chantant, agréable et tendre , de jolis mots , votre blog est un vrai plaisir , changeant à souhait !
Rédigé par : Estelle | mardi 31 janvier 2006 à 14:51
Oui et puis c'est bien, on n'est pas dérangé hein !
:)
Rédigé par : Nico | mardi 31 janvier 2006 à 14:53