Roland Castro : Bonjour
Vous êtes architecte-urbaniste, inscrit au PCF, ancien conseiller de François Mitterand notamment sur les banlieus et vous avez fondé au lendemain du 21 avril 2002 le MUC, Mouvement de l'Utopie Concrête (1) qui se veut être/devenir un laboratoire d'idées politiques. Vous avez récemment annoncé votre candidature à la présidence de la république, ma première question est la suivante : votre candidature a-t-elle pour objet de réveiller partis, penseurs et citoyens ou souhaitez-vous rester présent jusqu'à son terme dans cette campagne ?
Les deux mon général ! mais en commençant par la première idée. Et en ajoutant ce codicille, j'irai jusqu'au bout avec comme limite de ne pas provoquer un nouveau 21 avril. Evidemment, la base de tout, est que cette candidature permette à chacun d'imaginer que quelque chose de nouveau est possible. C'est d'ailleurs le titre et l'humeur donné à la déclaration de candidature "nous sommes des millions à être seul". L'idée que chacun puisse à nouveau ouvrir dans sa tête un espace de rêve et de projet, c'est l'idée centrale.
Ce que j'ai relayé sur BLP, le Manifeste (2) y est disponible comme vos communiqués (3)..
Vous évoquez entre-autre propositions dans les différentes interviews que vous avez données (je m'appuie notamment sur le "chat" du 22/04 (4) avec Le Monde) un "Plan Gandhi" pour le monde. L'inconditionnel du DD que je suis est séduit par cette idée comme par celle du service civile garçon-fille en Europe, pour les Suds. Pouvez-vous développer et nous dire de quoi il s'agirait concrêtement ?
Concrètement, nous travaillons à donner corps à cette idée dans le cadre de laboratoires de projets, dont la synthèse des travaux sera présentée aux Etats généraux du 14 juillet [ Ils ont pour objet de faire aboutir en propositions concrètes en travail collaboratif citoyen les thématiques du MUC. On part sur une première session jusqu'au 14 juillet : sur le marchand/non marchand, les devoirs du citoyens, et le Plan Ghandi. Les ateliers sur 8 semaines procèderont en 3 étapes : état des lieux de la question, propositions utopiques à concrétiser qui constitueront le programme du MUC et évaluation de la faisabilité. toutes les infos des réus sont sur le blog de Roland Castro : http://utopiesconcretes.over-blog.com ]. Disons que pour simplifier l'essentiel du Plan Ghandi s'appuie sur l'idée d'un developpement démocratique durable à l'échelle du monde, n'utilisant plus la violence comme arme d'émancipation et l'argent comme simple moteur du développement. Au contraire, un Plan Ghandi, vise à mettre l'éthique au centre d'un dispositif de développement mondial et le partage de la culture comme ciment bien meilleur que par exemple une taxe sur les marchés de capitaux ou même la déculpabilisante mais peu efficace annulation de la dette.
ça voudrait dire en Europe l'accueil de million d'étudiants du tiers-monde, boursiers de l'Europe, mais avec l'obligation du retour, et donc le contraire d'une politique des quotas cherchant simplemnt à augmenter le potentiel intellectuel de l'Europe. Cette mesure européenne peut se décliner en mesure nationale : 3 millions d'étudiants grosso modo en France, donc 300 000 boursiers, en soutenir 1 sur 10. Cette mesure peut se décliner sur le plan municipal : soutenir un boursier pour 300 habitants. Voilà pour la mise en pratique. Encore une fois, nous developpons la faisabilité concrète au sein des ateliers. Mais un plan Ghandi, c'est d'abord peut-être la reconnaissance des cultures issues du Sud, autrement plus solidaires, que la culture de la solitude des cultures d'Europe. Le Plan Ghandi, c'est aussi reconnaitre que dans certains pays très pauvres, le massacre de la canicule d'aôut 2003 serait absolument impossible. Nous sommes un pays riche, humainement beaucoup plus pauvre que les pays les plus pauvres.
En cela nos regards se croisent, notamment.
Le plan Ghandi, pour conclure, est un mouvement de "mutualisation" de ce qu'il ya de meilleur au Nord et au Sud
Nous commençons 1. par le philosophique, donc "produire une déclaration universelle des devoirs de l'homme. 2. Inventer un service civil garçon/fille à l'échelle européenne à la majorité, qui serait un bras armé sans armes du Plan Ghandi et de toutes les actions de solidarité concrète nécessaires en France et en Europe 3. Le plan Ghandi lui-même, décrit plus haut. 4. Distinguer le marchand du non marchand, donc créer de nouveaux services publics : l'eau, le médicament, la beauté des villes. 5. Favoriser du point de vue fiscal tout ce qui a trait au lien social, donc enlever la TVA de tous les lieux de convivialité et de culture, restaurer le café comme lieu de fabrication de la civilité. Ensuite 6. sur le plan institutionnel, mettre en place un parlement d'amateurs éclairés (des députés ayant un métier, au mandat limité, avec un seul renouvellement), un sénat philosophique chargé de traiter dans la palabre les grandes questions éthiques et philosophiques, et notamment de contrôler le plus grand fabricant de drogue et de soporifique : la télé.
Ou/et de se pencher sur des questions comme le fut celle du voile, ou du mariage homosexuel...
Oui. Pour l'ensemble, les différentes thématiques du projet forment chacun des chapitres du Manifeste, ainsi que de mon livre "j'affirme" ( Ed. Sens &Tonka, en librairie le 21 mai)
Je souhaite à cet ouvrage de trouver un public curieux...
Sur le pillage d'idées, notre mouvement comprend des gens dont certains sont adhérents à différents partis politiques. Nous sommes attachés au sytèmes des partis politiques, même si nous constatons chez eux un vide "projectuel" abyssal. Nous sommes donc tout à fait favorables à la reprise d'un maximum d'éléments de nos propositions.
Ce "lieu" d'invention de projet, de débat philosophique, poétique et philosophique qu'est le MUC est ouvert à tous ? que répondez-vous à ceux qui vous classe à gauche de la gauche ? ( NB : Je suis personnellement offusqué par cet antique distingo droite-gauche et sais que vous avez été favorable au plan Borloo, entre autres...) Je ne suis absolument pas à gauche de la gauche. En effet, pour des raisons quasi "oedipiennes", je suis membre du parti communiste français. J'ai toujours pensé, y compris, quand j'étais gauchiste à "Vive la Révolution", qu'une bonne politique concerne tout le monde. A l'époque, nous avions soutenu les revendications pour l'identité sexuelle qui ne sont ni de droite ni de gauche, comme le MLF, et le "Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire". Plus profondément, je pense que le plus grand apport de mai 68 c'est l'enfant désiré, plutôt que l'enfant voulu par dieu, la patrie ou la nature ; je ne désèspère pas donc du fait que le Baron Sellières, libéral s'il en est, comme père, peut ne pas souhaiter pour son fils, un monde de brute.
Cette démarche est innovante... C'est le moins que l'on puisse en dire...
De toute façon, l'utopie concrète telle qu'elle s'est effectuée dans l'histoire (nuit du 4 aôut, front populaire, programme de la résistance), a toujours vu les accapareurs et les possédants volontairement se déposséder. Le front populaire et le programme de la résistance a été voté à l'unanimité. Si nous souhaitons être pillés, c'est aussi parce que le concept le plus important qui nous porte, c'est l'idée que parfois de vivre ensemble s'impose parfoirs à TOUS.
Vers une société de plan-pied ? tous responsables ?
Oui...
Quel est votre point de vue (je sais que vous ne faites pas campagne et souhaitez "murmurer" celui-ci) concernant le traité constitutionnel sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer le 29 mai prochain ? En quelques mots...
je vous renvoie au Rebonds de Baudrillard, dans Libé de ce matin, sur le déni de souveraineté (5) .
Oui. Je suis pour l'Europe de l'empire ottoman, de l'empire Austro-hongrois et de l'Empire romain.
Je suis pour un élargissement de l'Europe, dans tout le bassin méditérranéen, pour une Europe braudelienne.
Je n'ai aucune crainte vis à vis de l'élargissement. J'ai peur de la pince vaticane polono-espagnole.
Tout autre chose... Imaginez-vous une réponse plus "inteligente" au problème des drogues, à la question de la dépénalisation des "drogues douces" par exemple ?
Je suis pour le pari de la liberté individuelle. La drogue la pire me parait aujourd'hui être la télévision. Je ne suis pas cependant pour une dépénalisation de l'ensemble des substances. Il faut une évaluation préalable de leur nocivité réelle. J'ai l'expérience des hallucinogènes : je suis pour leur interdiction et leur remplacement par la psychanlyse.
Je passe à nouveau du coq à l'âne... Vous suggérez de comptabiliser les votes blancs ? Comment ? Et quelles conséquences si la proportion de "blancs" se développait exponentiellement ?
Comment ? le blanc serait visible : des sièges vides au Parlement, comme une énigme.
(sourire !)
les conséquences : je ne vois que le développement du MUC. Notre tache principale est de remplir le blanc.
(re-sourire !)
Les premières promesses de vote concernent des abonnés au blanc, voire à l'abstention, depuis 1981.
Un dernier mot (avant de passer à quelques questions d'internautes) sur votre regard quand au lien entre moral des citoyens et croissance économique, et ses traductions pratiques ?
C'est un lien indirect. La liberté dans le travail est plus forte que la servitude. Un pays qui a le moral a plus d'inventivité économique. C'est vrai dans la culture française. Le taux de croissance était stupéfiant à la libération.
... Ce qui se traduirait par des réformes concrêtes ?
Les grands services publics comme la Sncf devrait avoir des formes démocratiques horizontal de fonctionnement, et les salariés devraient avoir le droit d'élire leur président. Les sociétés les plus performantes sont les plus sociales : ex, Danone, à l'époque d'Antoine Riboud... Les internautes maintenant ?
"j'ai lu dans votre chat du monde que vous estimiez la constitution de 58 "pas si mal". Ne pensez-vous que, pensée pour un grand homme, qu'elle est à l'origine de l'absence de projets politiques ? Chaque cheffaillon préférant s'imposer en jouant individualiste pour rentrer dans un costume taillé trop grand pour lui"
Je suis effectivement pour la constitution de la 5ème. Elle permet différentes interprétations notamment on peut l'interpréter avec un président qui inspire intellectuellement et un gouvernement qui gouverne réellement sans interférence. Le président peut être et devrait être l'insuffleur et l'animateur d'un projet. Le tout devrait être clairement délimité. Il suffirait d'imposer cette lecture.
"les partis politiques sont des partis où les personnes agées et certaines couches sociales sont sur-représentées. Comment inciter certains (jeunes, salariés, ...) à prendre toute leur place dans le débat politique ?"
Une dernière question de Benoit : "comment faire pour que l'école forme des citoyens et ne formate pas des idiots?"
Il faut mettre la formation derrière l'instruction et l'éducation. Valoriser l'enseignement de la philosophie. Et mettre la technique à sa place... Technique.
Merci Roland.
e toute façon les jeux sont faits puisque si le non l'emporte cette fois, on nous fera revoter jusqu'à ce que le oui l'emporte, comme on l'a fait pour le Danemark et l'Irlande (donc, autant voter oui tout de suite...). Ceci nous laisse toute liberté pour nous interroger sur la flambée du non en avril et sur les raisons de cette dissension tenace et silencieuse. Car cela seul a fait événement. La reprise en main du oui n'étant que celle d'une normalisation inexorable, seul le non fait mystère. Un non qui n'est pas du tout celui de ses défenseurs officiels, dont l'argumentation politique est aussi hétéroclite que celle du oui. D'ailleurs, le non d'inspiration politique n'aurait jamais suffi à faire flamber les sondages, et c'est lui qui régresse lentement sous la pression du oui... Le plus intéressant, la seule chose passionnante dans ce référendum en trompe l'oeil, c'est ce non qui se cache derrière le non officiel, ce non d'au-delà de la raison politique, car c'est celui-là qui résiste, et il faut qu'il y ait là quelque chose de bien dangereux pour que se mobilisent ainsi toutes les énergies, tous les pouvoirs confondus pour la défense du oui. Cette conjuration panique est bien le signe qu'il y a un cadavre dans le placard. Ce non est bien évidemment une réaction automatique, immédiate, à l'ultimatum qu'a été dès le début ce référendum. Réaction à cette coalition de la bonne conscience, de l'Europe divine, celle qui prétend à l'universel et à l'évidence infaillible, réaction à cet impératif catégorique du oui, dont les promoteurs n'ont même pas supposé un seul instant qu'il pouvait constituer un défi et donc un défi à relever. Ce n'est donc pas un non à l'Europe, c'est un non au oui, comme évidence indépassable. Personne ne supporte l'arrogance d'une victoire a priori quelles que soient ses raisons (lesquelles, dans le cas précis de l'Europe, ne sont rien moins que virtuelles). Le jeu est fermé d'avance, et tout ce qu'on sollicite, c'est le consensus. Oui au oui : derrière cette formule devenue banale se cache une terrible mystification. Le oui lui-même n'est plus exactement un oui à l'Europe, ni même à Chirac ou à l'ordre libéral. Il est devenu un oui au oui, à l'ordre consensuel, un oui qui n'est plus une réponse, mais le contenu même de la question. Ce qu'on nous fait subir, c'est un véritable test d'europositivité. Et ce oui inconditionnel génère spontanément, par une réaction à la fois d'orgueil et d'autodéfense, un non tout aussi inconditionnel. Je dirais pour ma part que le vrai mystère, c'est qu'il n'y ait pas une réaction plus violente, plus majoritaire encore, pour le non et contre cette oui-trification. Il n'y a même pas besoin de conscience politique pour avoir ce réflexe : c'est le retour de flamme automatique contre la coalition de tous ceux qui sont du bon côté de l'universel les autres étant renvoyés dans les ténèbres de l'Histoire. Ce sur quoi les forces du oui et du Bien se sont trompées, c'est sur les effets pervers de cette supériorité du Bien, et sur cette sorte de lucidité inconsciente qui nous dit qu'il ne faut jamais donner raison à ceux qui l'ont déjà. Déjà, lors de Maastricht et du 22 avril, les forces politiquement correctes, qu'elles soient de droite ou de gauche, n'ont rien voulu savoir de cette dissidence silencieuse. Car ce non en profondeur n'est pas du tout l'effet d'un «travail du négatif» ou d'une pensée critique. C'est une réponse en forme de défi pur et simple à un principe hégémonique venu d'en haut, et pour lequel la volonté des peuples n'est qu'un paramètre indifférent, voire un obstacle à franchir. Il est évident que pour cette Europe conçue selon un modèle de simulation qui doit être projeté à tout prix dans le réel et auquel chacun est sommé de s'adapter, pour cette Europe virtuelle, copie conforme de la puissance mondiale, les populations ne sont qu'une masse de manoeuvre qu'il faut annexer de gré ou de force au projet pour lui servir d'alibi. Et les pouvoirs ont bien raison de se méfier partout du référendum et de toute expression directe d'une volonté politique qui, dans le cadre d'une véritable représentation, risquerait de tourner mal pour eux. Ce sont donc les parlements qui, la plupart du temps, seront chargés de blanchir l'opération et d'avaliser l'Europe en douce. Mais nous sommes habitués à cette malversation de l'opinion et de la volonté politique. Il n'y a pas si longtemps, la guerre d'Irak a eu lieu grâce à une coalition internationale de tous les pouvoirs contre la volonté exprimée, massive et spectaculaire, de toutes les populations. L'Europe est en train de se faire exactement sur le même modèle. Je m'étonne d'ailleurs que les partisans du non ne fassent pas usage de cet exemple éclatant, de cette grande première dans le mépris total pour la voix des peuples. Tout cela dépasse de loin l'épisode du référendum. Cela signifie la faillite du principe même de la représentation, dans la mesure où les institutions représentatives ne fonctionnent plus du tout dans le sens «démocratique», c'est-à-dire du peuple et des citoyens vers le pouvoir, mais exactement à l'inverse, du pouvoir vers le bas, par le piège d'une consultation et d'un jeu de question/réponse circulaire, où la question ne fait que se répondre oui à elle-même. C'est donc, au coeur même du politique, la faillite de la démocratie. Et si le système électoral, déjà miné par l'abstention, doit être sauvé à tout prix (avant même de répondre oui, l'impératif catégorique est de voter à tout prix), c'est qu'il fonctionne à l'envers d'une véritable représentation, dans l'induction forcée de décisions prises «au nom du peuple» même si, secrètement, celui-ci pense le contraire. Il y a donc, derrière l'abréaction immédiate à la «pensée unique» de l'Europe, incarnée par le oui pensée libérale d'une Europe qui, faute d'inventer une autre règle du jeu, n'a d'autre solution que de se dilater et de s'agrandir par annexions successives (à l'image de la puissance mondiale), il y a donc, dans le non dont nous parlons, dans le refus de cette Europe-là, le pressentiment d'une liquidation bien plus grave que l'emprise du marché et des institutions supranationales la liquidation de toute représentation véritable , au terme de quoi les populations seront définitivement assignées à un rôle de figuration, dont on sollicitera de temps en temps l'adhésion formelle. Quant au résultat final, un certain suspense demeure : si c'est bien, selon toute vraisemblance, l'hégémonie insolente du oui qui a suffi à générer le sursaut révulsif du non, alors la recrudescence de la campagne en faveur du oui devrait logiquement engendrer un renforcement du non. Mais il n'est pas sûr que ce non venu des profondeurs de ce qu'on a pu appeler jadis les majorités silencieuses, résiste à une intoxication massive. Il y a fort à parier que nous allons repartir vers une régulation consensuelle, sous l'autorité spirituelle de tous les pouvoirs. Quel que soit le résultat d'ailleurs, ce référendum, coincé entre le oui et le non comme entre le 0/1 du calcul numérique, n'est qu'une péripétie. L'Europe elle-même n'est qu'une péripétie de plus sur la voie d'une échéance bien plus grave, celle d'une déperdition de la souveraineté collective à l'horizon de quoi se dessine un autre profil que celui du citoyen passif ou manipulé : celui du citoyen-otage, du citoyen pris en otage par les pouvoirs, c'est-à-dire la prise d'otage étant devenue la figure même du terrorisme une forme démocratique de terrorisme d'Etat. Derniers ouvrages parus : Cahier de l'Herne, Baudrillard et Cool Memories V, ed. Galilée. |
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